LIVRE DE JEAN DE LA FONTAINE DES FABLES
INTÉGRALE DES FABLES DE JEAN DE
LA FONTAINE
FABLE IILE CORBEAU ET LE RENARDMaître Corbeau, sur un arbre perché,Tenait en son bec un fromage.Maître Renard, par l'odeur alléché,Lui tint à peu près ce langage :« Et bonjour, Monsieur du Corbeau.Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !Sans mentir, si votre ramageSe rapporte à votre plumage,Vous êtes le Phénix des hôtes de ces Bois. »A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie :Et pour montrer sa belle voix,Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.Le Renard s'en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,Apprenez que tout flatteurVit aux dépens de celui qui j'écoute.cette leçon vaut bien un fromage sans doute. »Le corbeau honteux et confusJura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.FABLE IIILA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BOEUFUne Grenouille vit un BoeufQui lui sembla de belle taille.Elle qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf,Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaillePour égaler l'animal en grosseur,Disant : « Regardez bien, ma soeur,Est-ce assez ? dites-moi : n'y suis-je point encore ?- Nenni. - M'y voici donc? - Point du tout. - M'y voilà ?- Vous n'en approchez point. » La chétive pécoreS'enfla si bien qu'elle creva.Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs,Tout petit Prince a des Ambassadeurs,Tout Marquis veut avoir des Pages.
FABLE IVLES DEUX MULETSDeux Mulets cheminaient ; l'un d'avoine chargé ;L'autre ponant l'argent de la Gabelle.Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.Il marchait d'un pas relevé,Et frisait sonner sa sonnette ;Quand, l'ennemi se présentant,Comme il en voulait à l'argent,Sur le Mulet du fisc une troupe se jette,Le saisit au hein, et l'arrête.Le Mulet se défendantSe sent percer de coups : il gémit, il soupire.« Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis ?Ce Mulet qui me suit du danger se retire ;Et moi j'y tombe, et je péris.- Ami, lui dit son camarade,Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :Si tu n'avais servi qu'un Meunier, comme moi,Tu ne serais pas si malade. »FABLE VLE LOUP ET LE CHIENUn Loup n'avait que les os et la peau ;Tant les Chiens faisaient bonne garde.Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.L'attaquer, le mettre en quartiers,Sire Loup l'eût fait volontiers.Mais il fallait livrer bataille ;Et le Mâtin était de tailleA se défendre hardiment.Le Loup donc l'aborde humblement,Entre en propos, et lui fait complimentSur son embonpoint qu'il admire.Il ne tiendra qu'à vous, beau Sire,D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.là quittez les bois, vous ferez bien :Vos pareils y sont misérables,Cancres, haines, et pauvres diables,Dont la condition et de mourir de faim.Car quoi ? Bien d'assuré ; point de hanche lippéeTout à la pointe de l'épée.Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. »Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire?- Presque rien, dit le Chien ; donner la chasse aux gensPortant bâtons, et mendiants;Flatter ceux du logis, à son Maître complaire ;Moyennant quoi votre salaireSera force reliefs de toutes les façons :Os de poulets, os de pigeons ;Sans parler de mainte caresse.Le Loup déjà se forge une félicitéQui le fait pleurer de tendresse.Chemin faisant il vit le col du Chien pelé :« Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi? rien? - Peu- Mais encore ? - Le collier dont je suis attachéDe ce que vous voyez est peut-être la cause.- Attaché ? dit le Loup ; vous ne courez donc pasOù vous voulez ? - Pas toujours, mais qu'importe ?- Il importe si bien, que de tous vos repasJe ne veux en aucune sorte,Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encore.
FABLE IVLES DEUX MULETSDeux Mulets cheminaient ; l'un d'avoine chargé ;L'autre ponant l'argent de la Gabelle.Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.Il marchait d'un pas relevé,Et frisait sonner sa sonnette ;Quand, l'ennemi se présentant,Comme il en voulait à l'argent,Sur le Mulet du fisc une troupe se jette,Le saisit au hein, et l'arrête.Le Mulet se défendantSe sent percer de coups : il gémit, il soupire.« Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis ?Ce Mulet qui me suit du danger se retire ;Et moi j'y tombe, et je péris.- Ami, lui dit son camarade,Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :Si tu n'avais servi qu'un Meunier, comme moi,Tu ne serais pas si malade. »FABLE VLE LOUP ET LE CHIENUn Loup n'avait que les os et la peau ;Tant les Chiens faisaient bonne garde.Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.L'attaquer, le mettre en quartiers,Sire Loup l'eût fait volontiers.Mais il fallait livrer bataille ;Et le Mâtin était de tailleA se défendre hardiment.Le Loup donc l'aborde humblement,Entre en propos, et lui fait complimentSur son embonpoint qu'il admire.Il ne tiendra qu'à vous, beau Sire,D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.là quittez les bois, vous ferez bien :Vos pareils y sont misérables,Cancres, haines, et pauvres diables,Dont la condition et de mourir de faim.Car quoi ? Bien d'assuré ; point de hanche lippéeTout à la pointe de l'épée.Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. »Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire?- Presque rien, dit le Chien ; donner la chasse aux gensPortant bâtons, et mendiants;Flatter ceux du logis, à son Maître complaire ;Moyennant quoi votre salaireSera force reliefs de toutes les façons :Os de poulets, os de pigeons ;Sans parler de mainte caresse.Le Loup déjà se forge une félicitéQui le fait pleurer de tendresse.Chemin faisant il vit le col du Chien pelé :« Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi? rien? - Peu- Mais encore ? - Le collier dont je suis attachéDe ce que vous voyez est peut-être la cause.- Attaché ? dit le Loup ; vous ne courez donc pasOù vous voulez ? - Pas toujours, mais qu'importe ?- Il importe si bien, que de tous vos repasJe ne veux en aucune sorte,Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encore.
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